Certes, l’union nécessaire manque, beaucoup et trop, en France. C’est pourquoi son image y est toujours comprise et désirée, appelée et même fêtée. On aime à répandre des plaintes tout à fait légitimes sur les outrances des partis, leurs passions et leurs injustices ; on élève de grands soupirs vers la plus urgente et la plus légitime des concordes. Pieux désirs ! Valant ce qu’ils valent, ils sont courants.
En revanche, notre pays ne donne pas grande attention à ce dont parlait le livre. Nous passons, sans y prendre garde, sur la plus triste et la plus fâcheuse de nos habitudes d’alors, d’aujourd’hui, de toujours : les Français ne s’aiment pas eux-mêmes, comme Français. Ils ont peu d’affection et peu d’estime pour la nature de leur peuple, pour ses traits distinctifs et pour sa figure constante. Et s’ils y pensent, c’est pour regretter, pour déplorer ou même accuser le tempérament national : « Nos Français ! Vous les connaissez ! Tous les mêmes ! » Et en avant, notre légèreté, notre versatilité, notre manque de sérieux, de patience ou de profondeur ou encore de force…
Vieille maladie qui fut grave. On l’avait crue guérie par l’exemple extraordinaire des quatre années consécutives tenues dans les tranchées, au long d’héroïques batailles. Mais à peine nos provinces frontières étaient-elles dégagées, le même mauvais refrain a recommencé de courir.
De hautes autorités morales ont bien raison de prêcher, comme elles en ont le devoir, aux Français, nés Gaulois, plus de charité réciproque, moins d’acrimonie dans leurs rapports sociaux, un goût moins vif de la querelle et de la dissension, Mais quoi ! c’est la nature humaine, l’homme n’a pas fini d’être pour l’homme un loup. Ce qui est redevenu l’indice commun du Français, c’est un étalage de modestie excessive et même de véritable humilité toutes les fois qu’il s’agit de la valeur et du rang de notre nation. Le Français moderne est toujours prêt à s’effacer devant la première nation venue, en s’inclinant, en lui disant : Après vous, après vous, s’il vous plaît… Beaucoup comptent prendre un air distingué. Ils croient se dépasser en s’élevant, non au-dessus d’eux-mêmes, mais de leur peuple et de leur pays.